Maîtrise foncière publique sur le littoral

Maîtrise foncière sur les îles

Origine et documents clés de la stratégie d’acquisition foncière par l’État

En 2001, le rapport parlementaire de Louis Le Pensec « Vers de nouveaux rivages » développait la nécessité absolue de la sauvegarde des espaces littoraux par la maîtrise foncière publique (MFP). Dans la foulée, le Conservatoire de l’espace littoral, créé 25 ans plus tôt, publiait en 2005 une stratégie d’acquisitions programmées à horizon 2050 – stratégie réactualisée/amplifiée en 2015 actuellement en vigueur. Des cartographies régionales indiquent des zones d’intervention et des « périmètres autorisés » intégrant notamment les espaces naturels sensibles (ENS) sélectionnés par les départements. Ces documents sont consultables en ligne sur une dizaine d’atlas régionaux, sans cependant permettre une vision détaillée des emprises foncières prévues.

Par ailleurs, la politique d’acquisition du « tiers naturel littoral » des côtes de France est précisée dans le contrat d’objectifs 2021-2025 entre l’Etat et le CEL.

Le concept du « tiers naturel littoral » à sauvegarder

Trouvaille de communication utilisée pour la première fois par un universitaire de Brest dans les années 60, le concept repris par le Conservatoire du littoral donne un cadre écologique à sa politique d’intervention.

Une vision cartographique proche de l’échelle cadastrale permet à chaque propriétaire d’espace littoral de se rendre compte des surfaces désignées pour être déprivatisées au profit des communes, communautés de communes et collectivités diverses.

Il s’agit de la carte interactive des rivages de France accessible sur le site du Conservatoire du littoral.

 

 

  • En bleu : parcelles déjà acquises; en bleu clair grisé : parcelles à acquérir.
  • Naviguer sur cette carte donne une vision claire des ambitions du concept dit « du tiers naturel » prévu être atteint au proche horizon de 2050.
  • L’ampleur d’un tel transfert foncier au profit de l’Etat interpelle l’Association et pose raisonnablement la question de sa pertinence.

Méthode de la maîtrise foncière publique (MFP) sur le littoral

Afin de répondre à des enjeux publics (opérations d’aménagement, de construction et, plus récemment, de protection de l’environnement), c’est par acquisition amiable, préemption ou procédure d’expropriation que les collectivités territoriales s’assurent de la maîtrise du foncier.

Le Conservatoire est le principal financeur des acquisitions sur le littoral : c’est sa mission d’agence foncière de l’État, devenue en près de 50 ans un immense propriétaire sur les côtes métropolitaines et ultramarines.


Le Conservatoire achète les terrains situés en bord de mer et de lacs
, dans un périmètre géographique précis dont les contours sont définis avec les élus locaux (conseil général, communes) et les services de l’État, puis votés lors de ses conseils d’administration après avis des conseils de rivages concernés (il y en a 10, composés d’élus des collectivités territoriales).
Les propriétaires privés, pourtant très concernés, ne sont jamais représentés dans ces assemblées. De plus, il n’existe pratiquement aucune possibilité de recours juridique contre l’intégration de surfaces au sein des périmètres désignés.

De même, la classification en ENS, prérogative des départements, s’effectue sur des critères inconnus, sans réelle possibilité de recours. Or, cette classification est loin d’être neutre juridiquement. En fait, elle renforce les possibilités de mise en œuvre de la maîtrise foncière publique.

Financement de la MFP

Depuis 2006, le Conservatoire bénéficie d’un budget pérenne via notamment une partie importante des droits annuels de francisation des navires (TAEMP : taxe annuelle sur les engins maritimes de plaisance). Pour le Conservatoire du littoral, elle était plafonnée à 38 M € en 2021, dont 17 M € consacrés aux acquisitions, le budget de l’Établissement étant pour cette même année de 60 M €.
La SNSM est également, depuis 2018, bénéficiaire d’une partie de cette taxe sur les navires.
Par ailleurs, les départements disposent aussi d’un budget d’acquisition lié à leurs propres droits de préemption via une autre taxe, la TDENS (Taxe départementale des espaces naturels sensibles), de l’ordre de 2 à 3 M € /an. Un budget calculé sur un pourcentage des taxes des permis de construire, lequel permet aussi de financer la gestion des espaces naturels sensibles désignés par les élus.

La préemption en révision de prix

Dans la pratique, la préemption, lorsqu’elle est déclenchée, s’exerce en révision de prix basée sur les estimations de la DIE (direction de l’immobilier de l’État), anciennement France Domaine. S’ensuivent potentiellement des conflits longs soumis aux aléas des contentieux, en raison de l’insuffisance des prix proposés, voire des motifs invoqués pour justifier l’acquisition publique. L’intérêt général d’une acquisition doit être suffisamment démontré.

Position de l’Association par rapport à la MFP sur le littoral

Si la MFP a pu initialement être le moyen quasi exclusif d’enrayer l’urbanisation du littoral et/ou de protéger les espaces naturels, elle semble, plus de quarante ans plus tard, ne pas prendre en compte les nouvelles dispositions législatives ou réglementaires apparues depuis : loi Littoral de 1986 et l’abondante jurisprudence qui l’a suivie, évolution des anciens POS devenus PLU contraignants englobant désormais la surface totale des communes, directives européennes Natura 2000. Même si, dans certains cas, la MFP demeure une nécessité, il n’est pas du tout sûr que, par exemple, le danger d’urbanisation explicitement ou implicitement avancé pour une intervention soit actuellement fondé par rapport à ces dispositions. Il est avéré que les collectivités ne sont pas les plus aptes à gérer les fragiles espaces particuliers que sont les petites îles : elles n’en ont ni les moyens techniques ni les budgets.

L’ambition excessive du "tiers naturel"

L’Association estime donc excessive l’ambition d’un « tiers naturel » englobant les îles géré à terme par l’État. Les îles devraient être sanctuarisées, ce que n’assure pas la protection publique. La protection par acquisition systématique répondait aux données des temps pionniers des années 1970. Ces temps sont révolus : par exemple, les risques d’urbanisation sur les îles n’existent plus, comme indiqué ci-dessus – ce qui restreint, de fait, les motifs d’intervention foncière.

La coexistence de la gestion de la propriété privée avec celle du domaine public de l’État est fondamentale. Elle passe par une politique de partenariats qui reste à développer sous des formes à définir. L’expérience vécue des propriétaires, généralement plus ancienne que celle des gestionnaires des terrains du Conservatoire, est un atout essentiel.

Les petites îles sont des espaces naturels habités, donc des lieux de vie non exposés à la surfréquentation. Elles ont une valeur écologique et patrimoniale assumée par leur propriétaire, sans aucun coût pour la collectivité ; elles n’ont nul besoin de protection publique.
À l’inverse, les collectivités qui héritent d’espaces insulaires n’ont, le plus souvent, ni les moyens techniques ni les moyens financiers pour en assurer une gestion continue. Sauf à mobiliser des niveaux exorbitants pour les budgets publics.

Le sentier littoral ou « SPPL », une forme de la MFP

Point de vue réglementaire

Le sentier littoral est une servitude qui permet le passage exclusif des piétons sur les propriétés riveraines du domaine public maritime ; on parle de SPPL (servitude de passage des piétons le long du littoral).

Le texte fondateur de la SPPL (L 121-31 du code l’urbanisme), stipule que « les propriétés privées riveraines du domaine public maritime sont grevées sur une bande de 3m de largeur d’une servitude destinée à assurer exclusivement le passage des piétons ».

Cependant, la SPPL ne peut pas grever :

  • les terrains situés à moins de 15 m des bâtiments à usage d’habitation édifiés avant le 01/01/1976 ;
  • les terrains attenants à des maisons d’habitation et clos de murs au 01/01/1976 … sauf dans les cas où l’institution de la servitude est le seul moyen d’assurer la continuité du cheminement des piétons ou leur libre accès à la mer.

L’idée du législateur (1976, 1986) pour établir cette servitude est de permettre au public de disposer d’un accès piéton, librement accessible à tous et gratuit, à l’ensemble du littoral français, sans que certaines parties puissent rester enclavées.

La mise en œuvre de la SPPL est assurée par les services de la DDTM. Elle peut être suspendue à titre exceptionnel. Dans ce cas (suspension ou modification du tracé), il y a obligation à enquête publique puis consultation du conseil municipal de la commune concernée et, enfin, prise d’un arrêté préfectoral.

Ne pas ôter la priorité à d'autres piétons

Sur les petites îles, priorité aux piétons du monde de l’herbe

Point de vue de l’Association sur la SPPL

La décision de matérialiser une SPPL relève du pouvoir de tous les maires. Compte tenu des coûts de réalisation et des responsabilités à endosser par la collectivité, elle reste difficile à créer et à aménager, d’autant que s’y ajoutent notamment de lourdes complications de procédures obligatoires de type « étude d’incidence Natura 2000 ».

De ce fait, bien que très populaire et demandée par la société, la SPPL est rarement présente sur les petites îles. Elle est, du reste, radicalement contradictoire avec l’exigence de protection de l’environnement sur les micro territoires insulaires.
Le dogme de l’ouverture au public, fondement des acquisitions foncières du Conservatoire, touche ici sa limite. Même une «ouverture ménagée » reste a priori une aberration écologique en milieu insulaire.
Il n’en demeure pas moins que fin 2022 au moins deux communes bretonnes projettent de passer à l’acte via enquête publique.
La SPPL porte en elle le dilemme des élus entre le choix du développement touristique et de la protection de l’environnement. Quant au « sentier du douanier », historiquement il n’a jamais existé sur la très grande majorité des petites îles.

Près d’une trentaine d’îles sont l’objet d’un dessin de nouvelle SPPL sur la carte du CEREMA actualisée à 2020. Des tracés qui resteront des projets ? Il faut retenir que toutes les îles restent, théoriquement mais de plein droit, accessibles à quiconque sur une seule bande étroite parallèle au DPM, dès lors qu’une municipalité le déciderait.

Les îles étant des sanctuaires pour la biodiversité, les soumettre à une pression touristique qui ne peut qu’altérer le patrimoine environnemental est une atteinte évidente à la nature.

On note que la SPPL a été instaurée afin d’assurer le libre accès des citoyens au littoral. On peut observer que, dans le cas d’une île, les piétons concernés arrivant par la mer, c’est le littoral qui donne accès au sentier et non le sentier qui donne accès au littoral.

"La présence marine dicte une organisation des milieux naturels en ceintures parallèles à la mer, c’est ce qu’on appelle la zonation de la végétation. Chaque ceinture correspondant en gros à un compartiment écologique particulier où les conditions de vie sont homogènes et où les végétaux s’installent. Dès qu’une condition écologique change, la végétation change également. Sur les falaises, par exemple, nous avons une première ceinture constituée par des lichens sur les rochers situés au-dessus de la limite des plus hautes mers. Ensuite, ce sont les fissures des rochers aspergés par les embruns et battus par le vent où l’on trouve des plantes à fleurs adaptées à la sécheresse et au sel. Puis les pelouses littorales, qui garnissent la partie supérieure à moyenne des falaises. Après ce sont les landes littorales, les fourrés littoraux, voire même des forêts littorales. "

"Mais ce qui n’est pas urbanisé est aussi menacé, notamment par la fréquentation, qui se concentre sur les derniers espaces naturels libres d’accès, avec pour conséquence une banalisation des milieux liée au piétinement et aux apports de matières organiques. "

Comme on peut le voir sur son site Internet dans sa série Théâtre de l’authenticité, la photographe Natacha de Mahieu, grâce à la technique du time lapse (superposition de photos prises au même endroit sur une certaine durée), alerte sur les données du « tourisme de masse invisible ».

Les petites îles devraient être sanctuarisées. Elles n’ont nul besoin de protection publique.