Les espèces animales envahissantes

Le cas du Grand Cormoran en Morbihan

Table des matières

Les proliférations animales sur les îles

Les îliens doivent prendre en compte le développement excessif de certaines populations animales, comme celui des rats surmulots qui amènent à des actions concertées de dératisation à cause de leur impact notamment sur la reproduction des oiseaux (prédation des œufs), ou du ragondin, mammifère exotique élevé pour sa fourrure et devenu impossible à contenir dans la nature. Sur le littoral atlantique, un oiseau introduit également par l’homme a amené un temps un déséquilibre qu’il a fallu réguler à cause des dommages causés sur l’avifaune indigène : l’ibis sacré, échappé d’un zoo, dont la population grandissait, se nourrissant entre autres des nichées de sternes.

Les colonies d’oiseaux marins

Les ornithologues, qu’ils soient amateurs ou professionnels, sont attachés aux réserves d’oiseaux marins qui occupent des pans de rivages ou des îlots entiers.
À côté de la beauté de ces rassemblements d’oiseaux, ils connaissent aussi l’atmosphère qui règne dans ces colonies (photos ci-dessous) : l’odeur des fientes, la végétation brûlée, la présence des cadavres d’individus morts, les vols criailleurs qui dominent le site.

Des territoires protégés pour une espèce protégée

Les petites îles privées, caractérisées par une occupation humaine équilibrée, exempte du dérangement inhérent aux sites ouverts au tourisme, offrent à la faune la tranquillité qui convient aux oiseaux pour leur lieu de nidification.
En conséquence, d’ailleurs, les pouvoirs publics sont amenés à prendre sur les zones concernées des arrêtés de protection de biotope pour assurer la permanence de ces sites préservés en « réglementant » cette tranquillité.

Mais une espèce, lorsqu’elle est grégaire et caractérisée par des populations en expansion, en arrive à exercer sur les lieux qu’elle occupe une pression dont les dommages peuvent atteindre des proportions excessives.

Dans le golfe du Morbihan, c’est le cas du Grand Cormoran, oiseau en péril dans les années 70, qui, bénéficiant de la législation européenne qui lui donnait un statut de protection, a pu dès le tout début des années 2000, multiplier des colonies dans des sites du Golfe répondant à ses exigences : de la tranquillité sur les petites îles, de grands arbres et du poisson en abondance.
Le Grand Cormoran (Phalacrocorax carbo) figure à l’article 3 de l’arrêté du 29 octobre 2009 fixant la liste des oiseaux protégés sur l’ensemble du territoire et les modalités de leur protection.

Une emprise destructrice qui ne cesse de progresser

Les naturalistes qui observent ces colonies en font périodiquement le comptage et connaissent la réalité de leur croissance. Ces inventaires ne concernent pas le dommage infligé aux sites, beaucoup moins chiffrable.

Or, ce dommage est en expansion continue car l’oiseau dont les fientes ont détruit un secteur boisé s’en éloigne pour occuper un secteur mitoyen et avance ainsi dans l’île, détruisant un nouveau secteur boisé.

Ce processus de destruction n’existe pas en secteur non boisé, sur des falaises ou des marais ou bien des îlots comme ceux de l’archipel de Chausey qui leur sont dévolus.

À l’heure actuelle, il concerne les îles de Hent Tenn et de la Jument, à l’entrée du Golfe, Grande Drennec, au nord du Golfe, ainsi que l’île aux Œufs dans sa partie orientale. Sur ces îles, des espaces sont dévastés (sol souillé, oiseaux morts, arbres au sol), atteignant la zone habitée.

Incidences sur l’image du Golfe :

Deux îles voisines voient donc leurs grands arbres – pins et cyprès anciens – être défoliés puis dépérir entièrement, tombant au sol ou restant debout, comme incendiés, créant un paysage désolé sur des surfaces très importantes.
L’île de la Jument et sa voisine Henn Tenn font partie des îles de l’entrée du Golfe, à côté d’Er Lannic et face à Gavrinis. Ce groupe d’îles est connu pour deux sites exceptionnels – les enceintes mégalithiques d’Er Lannic et le cairn de Gavrinis – intégrés au projet d’inscription du site des mégalithes de Carnac et des rives du Morbihan au classement du patrimoine mondial de l’Unesco.

Les arbres morts encore debout ou au sol : en arrière-fond, l’île de Gavrinis et son cairn

Une situation peu compatible avec l’image positive du Golfe, pas plus qu’avec le label « plus belle baie du monde ».

Rôle des opérateurs Natura 2000 du golfe du Morbihan et des services de l’État

Après vingt années d’une implantation exponentielle du Grand Cormoran dans le Golfe et compte tenu de l’ampleur de la prolifération, la résolution du problème n’est pas du ressort du privé, même si c’est le privé qui doit en prendre l’initiative et supporter les conséquences de la démarche.
Les cormorans se montrent localement concurrents des hommes. Dans les zones de pisciculture, les dommages économiques, conséquences de leur alimentation en poissons, obligent les pouvoirs publics à organiser leur régulation.
Actuellement (fin 2022), les services de l’État ne peuvent éventuellement intervenir que dans le cadre d’une dérogation au statut très strict de la protection de l’espèce et de son habitat. La démarche que le propriétaire concerné doit initier, très complexe, comprend les justifications et/ou études suivantes :

  • justifier le motif de la demande par rapport au Code de l’environnement ;
  • justifier l’absence de solution alternative satisfaisante ;
  • justifier le maintien dans un état de conservation favorable des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle ;
  • évaluation de l’impact sur les espèces autres que le cormoran ;
  • étude des mesures ERCa (évitement, réduction, compensation, accompagnement).

L’instruction de la demande de dérogation passe alors par la consultation du Conseil scientifique régional du patrimoine naturel de Bretagne (CSRPN) sur une période de 2 mois et une consultation du public en ligne sur le site de la préfecture du Morbihan.
Au final, le Préfet accordera ou refusera la demande de dérogation par un arrêté.

Un chantier de restauration à planifier

Ces espaces très dégradés ne peuvent être laissés en l’état. Bien que classés comme habitat, donc strictement protégés, ils devront être restaurés à terme (débardage du bois tombé, abattage des arbres morts encore sur pied), la replantation étant conditionnée à la maîtrise du processus d’invasion. Un chantier techniquement difficile, coûteux et qui s’étalera dans le temps.